REFORME AGRAIRE

la terre promise
source: http://enviedepaysans.fr/blog/

Une réforme agraire, pourquoi, comment ?

La réforme agraire est une proposition pacifiste pour accompagner l’évolution inéluctable du monde et aider à résoudre les problèmes majeurs de notre société. Par Clarisse Prod’Homme, jeune paysanne en Ille-et-Vilaine (mouton viande et polyculture sur 30 hectares, diversification en boulange bio)

Les prévisions de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale sont de plus en plus pessimistes, et des agronomes annoncent des crises alimentaires sévères pour les décennies à venir.

Ces crises vont bien entendu toucher d’abord les pays pauvres, mais des enchaînements d’événements géopolitiques laissent à penser que nos pays occidentaux seront touchés aussi. La situation est déjà très tendue en Grèce, mais aussi au Portugal et en Espagne.

La crise économique qui ne faiblit pas, la montée du fascisme dans presque tous les pays, mettent en évidence les fragilités de l’Europe.

Parallèlement, le continent asiatique – particulièrement la Chine – occupe une place de plus en plus importante sur la scène mondiale. Non pas que cela soit dommageable, c’est normal que ça tourne. Mais cela implique une nécessaire remise en cause de l’organisation de notre société. L’Europe n’est pas riche en matières fossiles (pétrole, gaz), et à moyen terme il sera difficile de vivre au dessus de nos moyens comme nous le faisons actuellement.

Bientôt, c’est l’Asie qui captera les richesses du monde à notre place, et notamment le pétrole.

Il est donc impératif que nous nous préparions à ce nouveau monde. Que nous anticipions les choses pour éviter la brutalité et la misère qui souvent accompagnent ces changements de civilisation.

La réforme agraire est une proposition pacifiste pour accompagner cette évolution inéluctable et aider à résoudre les problèmes majeurs de notre société (chômage, logement, délinquance, pollution). Je ne parle pas d’un monde parfait, la perfection n’existe pas et n’est pas souhaitable. Mais faire un peu mieux que ce que l’on fait actuellement, ça c’est possible.

 

Installer… 500 000 paysans

Imaginons ce que cela donnerait d’installer 500 000 paysans. Pour ceux qui trouvent que ça fait beaucoup, pensez aux huit millions de précaires et pensez aux régions désertifiées de notre pays.

Prenons un exemple à petite échelle : imaginons que l’on crée un village (dans la Beauce ou en Ardèche) et que l’on y installe 60 paysans.

D’après les statistiques de l’Insee, il y a 35 % de célibataires en France et une moyenne de 2 enfants par famille. 60 paysans = 21 célibataires, 39 familles = 78 enfants ; sous-total = 177 personnes.

Si l’on veut scolariser les enfants, avec une moyenne de 20 enfants par classe on a :

4 classes = 4 instituteurs, 2 cuisiniers, 2 personnels de ménage, 2 administratifs, 1 surveillant ; sous-total = 11 emplois.

Parmi ces 11 personnes supplémentaires,on a 4 célibataires et 7 familles = 28 personnes dont 14 enfants =1 classe = 1 instituteur ; sous-total = 32 personnes = 1 emploi

Total général : 220 personnes = 1 village qui nécessite : 1 docteur, 1 éboueur,1 facteur, 1 électricien,1 plombier,1charpentier,1 café, 1 secrétaire de mairie,1 informaticien,1 ophtalmo, 1dentiste, 1 assistante maternelle,1 flic,1 mécanicien, 1 employé communal,1 tailleur de pierre …

Soit plus ou moins une quinzaine d’emplois supplémentaires, soit :5 célibataires / 10 familles = 40 personnes = 20 enfants = 1 classe = 1 instituteur sous-total = 46 personnes = 1 emploi…

Dans notre exemple 60 paysans ont généré : 60+11+1+15+1 = 88 emplois

Il faut évidement prendre le temps d’affiner ces calculs, mais on peut se permettre de dire que 500 000 paysans entraîneraient environ 250 000 emplois supplémentaires, soit 750 000 emplois au total. Si on installe un million de paysans (1), cela équivaudrait à 1,5 million d’emplois. Sur 4 millions de chômeurs actuellement, ce n’est pas négligeable !

La paysannerie est toujours (et ce dans toutes civilisations) la base de l’économie.

En réinstallant en masse des paysans,on relance donc l’économie. Et pas n’importe quelle économie : une économie locale respectueuse des hommes, de la nature et des ressources naturelles, notamment fossiles.

 

Pourquoi des mots tels que « réforme agraire » ?

Ils peuvent faire peur, mais il faut appeler un chat un chat. Le défi majeur de notre société est de désurbaniser la population.

Les grands problèmes de notre société sont liés à la surpopulation urbaine. On entasse trop de personnes sur un espace limité avec des ressources limitées (emploi, logement, air potable…).

L’objectif premier de la réforme agraire ( et c’est pour cela que c’est une réforme) est de repenser la répartition de la population sur le territoire.

Cette notion est fondamentale car cette répartition dicte la manière dont les hommes vivront ce territoire. Or aujourd’hui, il y a une cassure dans notre unité territoriale, le coeur de la France est quasi vide.

En repeuplant le centre de la France, nous réinstallons du service public et par là réaffirmons la continuité de l’Etat et de la République, partout, pour tous.

Cette réforme est aussi agraire car elle induit une redéfinition du statut de paysan. Les Grecs anciens appelaient les paysans « les gardiens de la cité », parce qu’ils prennent soin de la Terre et des Hommes en produisant de la nourriture.

Notre métier n’est pas anodin, il nous donne une responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens. C’est cette responsabilité qui nous valorise aux yeux de tous.

Redéfinir le statut de paysan, c’est aussi repenser la manière dont on pratique l’agriculture. Parlons vrai : la taille de nos fermes, les investissements et la charge de travail qui vont avec nous enchaînent. Or c’est aussi l’amour de la liberté qui nous a conduit vers ce métier.

Une réforme agraire implique donc de redonner de la liberté dans la manière de s’installer paysan. C’est cette liberté qui garantira que l’on trouve au moins 500 000 volontaires.

Sur les huit millions de précaires actuels, 25 % sont des jeunes de moins de 25 ans. Certains traitent ces jeunes de fainéants, mais c’est faux. Ces jeunes ( et les moins jeunes) ne refusent pas de travailler, mais ils veulent un travail et une vie qui ont du sens.

Notre métier est à la base chargé de sens, mais il est pris aujourd’hui dans une logique ultralibérale poussant à la production, à l’endettement, à la surcharge de travail. Pour retrouver du sens, il faut aller vers une agriculture paysanne et, oui j’ose le dire, vivrière.

Nous répétons à travers le monde avec la Via campesina que, pour assurer la souveraineté alimentaire des pays pauvres, il faut défendre l’agriculture vivrière plutôt que l’agriculture d’exportation. Pourquoi en serait-il autrement chez nous ?

Bien entendu, cette agriculture vivrière ne rentre pas dans les cadres habituels de l’installation, notamment en terme de revenus. Mais regardons les choses en face : les événements géopolitiques et naturels nous contraignent peu à peu à changer notre mode de vie.

Cependant, si l’agriculture vivrière n’est pas viable aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle n’est pas aidée et parce que les prix des denrées alimentaires sont trop bas. Si l’on rémunérait les paysans à leur juste valeur il faudrait multiplier ces prix par 2 ou 3.

La pression du chômage interdit aujourd’hui une augmentation de salaires équivalente à celle des prix, mais si l’on crée 1,5 million d’emplois grâce à la réforme agraire, on offre une incroyable occasion aux syndicats ouvriers de faire valoir leurs revendications.

 

Trois pistes de travail

Pour lancer la réforme agraire, proposition de trois pistes de travail :

– Le recrutement

* investir les villes pour promouvoir notre métier (Pôle Emploi, banlieues, lieux alternatifs, …) ;

* renforcer et soutenir le mouvement des Sans Terre créé en 2013 en France (2).

– La formation

* mobiliser le ministère de l’Agriculture pour ouvrir des classes en lycée agricole, avec le personnel nécessaire et assurer la diversité des enseignements ;

* mobiliser Pôle Emploi pour assurer une prise en charge totale des formations agricoles pour tous les chômeurs et précaires ;

* création d’un statut de « paysan-formateur »  pour assurer une vraie formation aux jeunes paysans (stage minimum d’un an en exploitation agricole).

– La redéfinition de la propriété foncière. La propriété foncière découle de la propriété privée. Au lendemain de la Révolution, elle a paru être le summum de la liberté. Mais en ce début de 21ème siècle, elle est le fer de lance de tout ce qui nous oppresse : difficulté d’accès à la terre et à tous les moyens de production, détournement du vivant par les brevets scientifiques, maltraitance des salariés par les propriétaires du capital.

Partout où l’on regarde aujourd’hui, les intérêts de quelques uns écrasent les intérêts du collectif en se protégeant derrière la notion de propriété privé.

Si nous voulons un autre monde nous devons changer cet état de fait.

Les besoins vitaux de l’humanité devraient être gérés dans l’intérêt du collectif.

En ce qui concerne la gestion du sol, les propositions d’Edgar Pisani dans son « utopie foncière » vont dans ce sens (gestion collective et locale par le biais des Offices fonciers régionaux).

Il est prévu par la loi que l ‘Etat puisse réquisitionner des terres au nom de l’intérêt général.

Et oui les plus grandes fermes doivent lâcher de la terre !

Oui, ce sont des mots forts, mais il ne s’agit pas d’y aller avec les fourches.  C’est plutôt lancer une idée. Une idée concrète sur ce que pourrait être cet autre monde possible.

Une idée pas juste pour nous, paysans. La réforme agraire se veut une porte d’entrée pour une prise de conscience générale de la société qu’il est dans son intérêt de repenser la propriété privé. Pour bâtir avec nos partenaires (Attac, syndicats ouvriers, organisations environnementales, de consommateurs…) un projet de société, un projet politique, un projet de gauche.

(1)    Comme l’avait suggéré l’ancien porte-parole national Régis Hochart au congrès de la Confédération paysanne, il y a quatre ans.

(2)   http://paysansansterre.noblogs.org/

Illustration : un dessin de Samson